Je rentrais de patrouille de chasse, la mine lugubre, alors que les chasseurs déposaient leur butin sur la réserve de gibier peu garnie. La saison des neiges était une période difficile pour tous les clans, il faisait froid, le gibier manquait et, souvent, les maladies se déclaraient. Ironiquement, c'était en cette saison que les reines avaient choisi le moment pour être pleines en même temps. En effet, la pouponnière du Clan du Vent était remplie de chatons qui ne tarderaient pas à devenir apprentis dans quelques lunes. Il s'agissait de Petit Dragon, Patte de Sable, Petite Hyène, Petit Loup, Petit Typhon et Petit Félin. Sans oublier les trois derniers-nés du clan : Petit Orage, Petit Aigle et Petite Châtaigne. C'étaient mes enfants et ceux de Pelage Fauve. Ils étaient nés il y a quelques jours et n'avaient pas encore ouvert leurs yeux. Hélas, tout ne s'était pas passé comme prévu. Pelage Fauve était tombée dans la rivière et avait été ramenée au camp, malade. Elle avait été soignée par Pelage de Lièvre, le guérisseur du clan mais elle souffrait du mal vert. J'étais furieux contre ma compagne qui avait risqué sa vie et celle des petits alors qu'elle était la lieutenante du clan. Elle avait été séparée des autres reines et des chatons pour ne pas contaminer tout le monde et personne ne pouvait aller la voir. Maintenant, elle risquait de mourir. Je me sentais frustré, impuissant. Alors que je pouvais me battre contre n'importe quel ennemi, je ne pouvais pas aider la reine rousse à vaincre la maladie. Son destin était désormais entre les pattes du Clan des Etoiles. Quant à moi, je devais continuer d'assurer mon rôle de chef de clan, comme toujours.

Il régnait ces derniers temps une atmosphère étrange entre les clans. Tout le monde savait ce qui s'était passé lors de la dernière Assemblée et j'avais l'impression que l'on commençait à en voir les conséquences. Un m'avait signalé une activité anormale sur les territoires du Clan de l'Ombre et du Clan de la Rivière... On croisait même fréquemment des odeurs du Clan de l'Ombre sur les terres du Clan de la Rivière ! Inquiet, j'avais envoyé Douce Nuit, une espionne, enquêter sur cette affaire. Je m'attendais au pire. Etoile Sauvage était en train de profiter de la situation. Le Clan de l'Ombre avait pu combattre le Clan de la Rivière et remporter une victoire. Mais dans ce cas, il y aurait eu des traces de combats. Je ne savais pas quoi en penser. C'était la première fois, de mémoire de chat, que l'on voyait cela. J'avais un mauvais pressentiment, et je devinais qu'un tel évènement aurait des répercutions sur les clans du Vent et du Tonnerre. Plus que jamais, je m'inquiétais quant à l'avenir des quatre clans de la forêt.

Soupirant, je m'étais dirigé vers la pouponnière. Voir mes chatons me changerait les idées. Je venais les voir dès que j'avais du temps libre. C'était normal, j'étais leur père, et je les aimais. Si Pelage Fauve n'était pas là, je serai au moins là pour eux. J'étais père, et j'étais fier comme jamais de ma descendance. Ils feraient tous de solides guerriers.
En passant la tête dans la pouponnière, je vis que Petite Châtaigne et Petit Aigle dormaient. Mieux valait ne pas les déranger. En revanche, un chaton manquait à l'appel : Petit Orage. Le chaton était sorti. Je remontai sa piste facilement. Le vis le chaton explorer le camp de ses pattes maladroites. Le chaton avait imité la position du chasseur et s'était jeté sur un lapin plus gros que lui. Il essayait de le tirer afin de l'amener dans la pouponnière. Il se cogna contre moi et s'était retourné pour me regarder. Petit Orage avait les yeux verts, comme ceux de sa mère, Pelage Fauve. Sa fourrure de couleur gris-tigré me rappelait celle de mon demi-frère, Rayure du Zèbre, qui tenait de notre mère, Feuille de Saule.

" Tu as ouvert les yeux !

Le chaton avait bondi sur mes pattes et essayait de grimper sur mon dos. En poussant un ronronnement amusé, je m'étais accroupi de sorte qu'il puisse grimper plus facilement et je miaulai gentiment,

" Tu es encore trop jeune pour manger du gibier, petit guerrier mais tu goûteras à du lapin plus vite que tu ne le penses. Et quand tu seras apprenti, tu chasseras toi-même ton propre gibier. "



Spoiler:

Je m'étais abaissé pour que le chaton puisse descendre lorsqu'il me fit signe qu'il en avait assez mais décidément, les chatons étaient pleins d'énergie. Avant que j'aie le temps de faire quoi que ce soit, le chaton avait imité grossièrement la position du chasseur puis s'était jeté sur ma queue qu'il mordilla. Il stoppa ensuite son activité pour saisir un petit caillou de ses crocs déjà aiguisés et joua avec... Avant de se le prendre sur la tête. Il se réfugia entre mes grosses pattes en piaillant. Il me demanda de lui faire visiter le territoire en se plaçant devant moi, les yeux ronds. Les chatons étaient si adorables ! Les reines de la pouponnière allaient avoir du travail avec ce trio jusqu'à ce qu'ils deviennent apprentis. J'étais fier de ma portée. Ils étaient tous des chatons en bonne santé et pleins d'énergie. Quel dommage que Pelage Fauve ne puisse pas les voir... J'espérais qu'elle guérirait vite de sa maladie. A supposer qu'elle guérisse bien sûr... Perdre ma lieutenante et ma compagne serait un coup terrible pour moi mais la vie devait reprendre son cours et je ne devais pas laisser ma vie personnelle influer sur mes devoirs de chefs. Néanmoins, si leur mère ne pouvait pas être là, moi, je serais toujours là pour mes chatons. Je les regarderais grandir et je serais toujours là si jamais ils auraient besoin d'aide par la suite.
Il aurait été facile de céder devant les yeux ronds d'un chaton mignon. C'était difficile d'y résister, mais il fallait aussi y aller avec douceur et fermeté.
C'est ainsi que je promis,

" Une autre fois. "

Le chaton était encore trop jeune et ses pattes trop maladroites pour visiter ne serais-ce que les abords du camp. Mais un autre jour, je leur ferais visiter le territoire à Petit Orage, Petit Aigle et Petite Châtaigne lorsque les chatons seraient plus grands. Surtout qu'en pleine saison des neiges, pour le moment, Petit Orage risquerait d'attraper froid s'il sortait. Ce n'était pas la saison propice pour faire sortir des chatons. De plus, je devinais que Petit Orage n'avait pas encore fini d'explorer le camp. Le chaton venait en effet tout juste d'ouvrir les yeux. Petit Aigle et Petite Châtaigne avaient-ils ouverts les yeux eux-aussi ? De quelle couleur étaient-ils ? En tout cas, ils n'étaient pas dans la clairière. A cette heure-ci, ils devaient probablement dormir dans la pouponnière. En voyant Rayure du Zèbre y entrer pour voir ses propres, je me dis que je passerais plus tard pour éviter qu'il y ait trop de monde à la fois.
Connaissant les chatons, je savais qu'ils ne s'arrêtaient que rarement derrière un refus. Soit ils prenaient un air de chien battu, soit ils continuaient de supplier jusqu'à ce que leur interlocuteur accepte. Petit Orage, Petit Aigle et Petite Châtaigne étaient peut-être ma première portée, mais j'avais vu plus d'une fois des chatons dans ma vie. Et j'en avais autrefois moi-même été un avec mon frère et ma soeur qui s'appelaient autrefois Petit Aigle et Boule de Glace.
C'est pour cela que je m'étais empressé de changer de sujet afin que le chaton pense à autre chose,

" Tu as déjà fait connaissance avec tes camarades de tanière ? "

La portée de Pelage Fauve n'était pas la seule portée du clan. En vérité, la pouponnière était pleine, chose rare en saison des neiges. Mes enfants étaient les derniers-nés. Les plus vieux chatons, Petit Dragon et Patte de Sable, bientôt âgés de 6 lunes ne tarderaient pas à devenir apprentis. Il s'agissait des enfants de Graine de Citrouille. Il y avait également des chatons bien plus jeunes comme Petit Typhon, Petit Félin, Petite Hyène et Petit Loup qui étaient nés il y a peu. J'espérais que mes enfants aient par la suite de bonnes ententes avec leurs camarades de tanière. Ainsi, ils auraient des compagnons de jeu. C'était beaucoup mieux que d'être les seuls chatons de la pouponnière qui s'ennuyaient en attendant leur baptême d'apprenti. Et pourtant, ils feraient mieux de profiter de leur enfance car ils grandiraient vite. Ils deviendraient apprentis, puis guerriers ou bien espions pour ceux qui le voulaient. Pelage de Lièvre, notre guérisseur, n'ayant pas d'apprenti et commençant à se faire vieux, prendrait peut-être un apprenti parmi tous les chatons de la pouponnière si l'un d'eux s'intéressait au travail de notre guérisseur. En tout cas, ils feraient tous de futurs bons éléments pour le clan une fois adultes. Et les chatons symbolisaient l'avenir de tout clan. Par la suite, ils agrandiraient nos rangs. C'était pour cela que les chatons étaient très précieux aux yeux de n'importe quel chat.