Menthe Poivrée était sur le bord de la rivière bien avant que le soleil ne se lève. Ça faisait plus d’une heure qu’elle se trouvait là, assise à quelques centimètres de l’eau qui remuait doucement. À la base, elle était venue ici pour cueillir des herbes –comme toujours-, le petit tas qu’elle avait récolté se trouvait derrière elle, à quelques pas : suffisamment loin pour ne pas être menacés par les vaguelettes. Le regard planté dans le néant, elle fut éblouie lorsque les premiers rayons de l’aube pointèrent, droit devant elle.
Elle s’étira paresseusement et bailla. Ses yeux verts se perdirent dans l’eau, elle la fixait, pensive. Elle pensait à tout, à  rien, à son clan, sa sœur, Chauve-Souris, les autres clans, Etoile Sauvage, beaucoup de choses. Soudain, elle sentit une présence de l’autre côté du cours d’eau, du côté du clan du Tonnerre. C’était une femelle, rousse, qui s’approchait de son côté de la frontière. Menthe Poivrée resta immobile : il lui semblait l’avoir aperçue à une ou deux Assemblées mais son nom lui restait obscur. Soudain, l’inconnue se tourna droit vers la guérisseuse, réalisant sa présence. D’une voix neutre, calme mais pas moins respectueuse, elle déclara :
-Bien le bonjour, si je peux me permettre, qui êtes-vous ? Et que faites-vous ici ?  
Menthe Poivrée ne put s’empêcher de remuer vivement la queue, mais elle essayait de la maitriser. Elle n’aimait pas bien ses chats du Tonnerre. Pas qu’ils lui aient personnellement causé du tord, c’était un genre de principe. Pourquoi diable une féline de la Rivière serait amie avec une guerrière du Tonnerre ? Ou inversement ? En plus, comme la guérisseuse était très méfiante, ça risquait de ne pas s’arranger. De la voix la plus calme et neutre possible, elle répliqua :

-J’ai autant le droit que vous d’être ici, vous savez.

Un fin sourire s’étira au coin de ses babines, malicieux. Elle battit plusieurs fois des paupières et son sourire s’évapora. Elle ne cherchait pas vraiment à se faire des ennemis alors elle répondit à sa question :

-Je suis Menthe Poivrée, guérisseuse de la Rivière. *pause* Et vous êtes ? 


Elle resta immobile un instant, puis s’avança de quelques pas, jusqu’à ce que le bout de ses pattes trempe un peu dans l’eau. La chatte tigrée n’aimait pas bien cette façon de se parler si loin de son interlocuteur. En s’approchant de la sorte, elle ne voulait pas provoquer l’autre en menaçant de traverser la frontière à la nage. Par contre, ce n’était pas dit que la rouquine au nom encore inconnu ne le perçoive pas ainsi…

La rouquine semblait se rendre compte de la stupidité qu’elle venait de dire : Menthe Poivrée pouvait le dire à son expression faciale, qui avait changé. Et ce n’était que le commencement. Lorsque la guérisseuse avait sourit, elle avait senti presque immédiatement qu’elle n’aurait peut-être pas du, que ça risquait d’énerver celle dont le nom restait encore mystérieux. La chatte déclina son identité quelques instants plus tard : Flamme d’Or.
La petite provocation que la guérisseuse avait lancée en s’avançant et plongeant ses pattes dans l’eau ne semblait d’ailleurs pas lui plaire. Elle s’était visiblement crispée sur ses pattes, en reculant de quelques pas, comme par peur que Menthe Poivrée ne l’éclabousse ! Cette pensée la fit presque rire, mais elle s’en empêcha de toutes ses forces, pour ne pas se faire une nouvelle ennemie, ici et maintenant. La féline tigrée n’aimait pas les étrangers, et même si elle avait décliné son nom, la guerrière du Tonnerre était toujours dans la catégorie « étrangers potentiellement menaçants ». Flamme d’Or continua, visiblement nerveuse :
Qu'est-ce que vous faites? Je vous conseille de ne pas trop m'approcher, je n'apprécie pas vraiment les chats de votre clan...
 
Menthe Poivrée recula également de quelques pas, pas par peur ou pas crainte, contrairement à ce que l’on pourrait croire. Elle sortit les pattes de l’eau et répondit :
-Moi non plus je n’aime pas ceux du Tonnerre, mais je crois bien c’est réciproque pour tout le monde non ?

 
À croire que c’était une tradition de vouloir étriper ceux de l’autre côté de la rivière. Elle continua :
-Mais je ne faisais rien. De toute façon, qu’est-ce que je viendrais faire de votre côté ? Moi, petite guérisseuse inoffensive contre une guerrière expérimentée ? *pause* Une simple envie de se tremper les pattes voilà tout, mais vous ne pouvez pas comprendre ce plaisir !