❝ La solitude. Voilà ce que ressentait Petite Renarde depuis que ses frères avaient été baptisé il y a de cela quelques levers de soleil. Pas qu'ils lui manquait : elle était bien contente de ne plus avoir à supporter Nuage du Pégase et Nuage du Caméléon mais malgré tout, leur présence avait toujours mit un peu d'ambiance dans la pouponnière. Même si le plus souvent c'était elle qui mettait le feu au poudre, ça avait l'efficacité de l'occuper l'espace de quelques instants. Une petite insulte, brûlante comme une braise, et la forêt s'enflammait. Et si Petite Renarde ne pouvait voir les dégâts que ce cela causait, elle était tout de même capable d'entendre les supplices de ses frangins.

Tout ça pour dire que, finalement, elle se complaisait dans sa vie de chaton aveugle autrefois. Elle s'occupait à sa manière, caressant les jeunes mâles dans le mauvais sens du poil. Ils se plaignaient d'elle, la haïssait même par moment dans le cas de son aîné, mais au moins elle avait la sensation d'exister. On ne se plaint pas des personnes qui n'existent pas. C'était certes une façon bien particulière qu'usait Petite Renarde, mais c'était celle qui lui plaisait. Pouvoir déverser son venin et se faire exister par ce biais. On ne se soucie pas des gentils, puisqu'on a jamais rien à leur reprocher. Les vicieux, par contre, c'était une autre affaire. On n'oublie pas leur face de serpent si facilement.

Les jours ayant suivi le baptême de ses frères, Petite Renarde s'était prostrée dans la pouponnière. Apparemment, d'après Étoile Sauvage, sa place était ici et nulle part ailleurs. La plupart des guerriers ne prenaient même pas la peine de lui rapporter une proie pour son repas quotidien : à leurs yeux, elle n'était qu'une bouche à nourrir inutilement, puisqu'elle ne pourra jamais rien apporter à son Clan. Il lui était donc arriver plusieurs fois de devoir aller se servir toute seule, parfois même au beau milieu de la nuit. Cette situation commençait sérieusement à l'agacer mais elle devait faire avec : qui sait, peut-être Étoile Sauvage reviendra-t-elle un jour sur sa décision ?

Même si de l'eau était passée sous les ponts depuis, Petite Renarde ne pouvait se défaire sa rancœur et cela se voyait dans son comportement. Plus perfide et mauvaise que jamais, chacun avait le droit à sa remarque cinglante lorsqu'on la caressait à rebrousse-poil. Déjà qu'avant elle n'était pas la plus populaire et la plus appréciée, alors désormais … On pourrait presque voir un nuage d'idées sombres et de mauvaise humeur qui l'enveloppait constamment, du réveil au coucher, sans s'apaiser ne serait-ce qu'un instant. Son esprit était vide de belles pensées et de bonne humeur, seulement habité par les ténèbres et le désespoir.

Et ce jour-là ne faisait pas exception. Une fois encore – ça commençait à devenir une coutume – les apprentis avaient apportés leur part de gibier aux reines, mais rien pour elle. Petite Renarde attendit donc quelques instants, histoire d'être sûre que tout le monde s'était servi, puis se dirigea par instinct vers l'entrée de la pouponnière. Elle ne voyait certes rien mais ses autres sens étaient plus performants, lui permettant de se guider sans avoir besoin de ses yeux. Le froid de l'hiver la fit frissonner, son pelage ayant à peine commencer à changer pour lutter contre la rudesse de la saison des neiges.

Guidée par son odorat, Petite Renarde rejoignit la pile de gibier au petit trot. Son nez parvint à identifier le parfum d'une souris, d'un rat et d'un lézard. Grimaçant à l'idée de se sustenter de ces deux dernières pièces de gibier, elle se pencha en avant pour attraper la souris. Trop tard : d'un coup de griffe vif et calculé, le rongeur s'éloigna de la jeune femelle. Elle reconnu le parfum d'un jeune guerrier qu'elle ne connaissait pas personnellement mais qui, apparemment, ne la portait pas dans son cœur. La preuve en était : il venait de lui subtiliser sous le museau la proie qu'elle convoitait pour son repas.

Montrant les crocs, elle ne put voir l'espièglerie sur le visage du guerrier avant qu'il ne lui tourne le dos et s'en aille dîner dans son coin. Il ne lui restait donc que le rat et le lézard … rien de bien ragoûtant. Rien que leur odeur pestilentielle lui coupait toute faim. Mais la jeune chatte savait quand si elle ne mangeait pas maintenant, elle n'aurait rien avant le lendemain soir. Ce n'était donc pas le moment de faire sa difficile, elle avait déjà de la chance d'avoir quelque chose à se mettre sous la dent, aussi dégoûtant cela soit-elle. Néanmoins, alors qu'elle attrapait le petit rat entre ses crocs, elle senti une masse la percuter sur le flanc, lui faisant lâcher son dîner.

▬ C'était qui ça ?

Il lui rentrait dedans, ne s'excusait même pas et lui posait une question si idiote ? Petite Renarde ignora ce qui la retint de tordre le cou à ce chaton impertinent. Elle avait bien entendu reconnu l'odeur de Petit Solitaire, ce qui n'était pas dur puisqu'ils dormaient dans la même tanière. Elle ne le connaissait pas plus que ça évidemment puisqu'elle ne cherchait pas à faire copain-copine avec les chatons mais elle savait quand même que c'était un petit être assez étrange et qui portait bien son nom. Petite Renarde ne le détestait pas mais ne l'appréciait pas pour autant : du moment qu'il ne traînait pas dans ses pattes, elle ne lui dirait trop rien.

Cependant, là, il l'avait mise en rogne. Avant qu'un autre petit rigolo lui vole sa proie, Petite Renarde attrapa cette dernière du bout des griffes et la cacha sous son ventre, puisqu'elle venait de s'asseoir. Là, il fallait être soit téméraire soit stupide pour venir lui arracher son repas maintenant. Néanmoins, elle n'allait pas pouvoir manger tout de suite, elle devait encore corriger cet impertinent qui l'a prenait pour une boule de mousse. Couchant les oreilles sur son crâne, la jeune chatte à la queue noire montra les crocs, les moustaches frémissantes.

▬ Tu en as des bonnes, toi ! D'abord tu me rentres dedans, et après tu me poses cette question débile ? Au cas où tu n'aurais pas remarqué – et si c'est le cas, tu dois manquer de matière grise – je suis aveugle donc je ne peux pas voir ce que tes yeux de chaton frivole ont bien pu remarquer.

Son ton était sec, la preuve même de sa mauvaise humeur. Petite Renarde détestait que les autres lui disaient des phrases dans ce genre. Les « as-tu vu ça? » ou les « regarde un peu ! », ça avait le don de la faire sortir de ces gongs. D'un côté, ça lui faisait quelque part plaisir qu'on oublie sa cécité mais d'un autre, l'incapacité de pouvoir voir ce que les autres voyaient la rendait ivre de colère. Et d'injustice. Naître aveugle, c'est déjà un sacré handicap. Naître aveugle dans un des Clans, c'était la misère. Naître aveugle dans le Clan de l'Ombre avec la politique d’Étoile Sauvage, s'était être condamnée à vivre toute sa vie dans la haine et le rejet de la différence. ❞