L'Ombre de la Rivière

Les journées se suivent et se ressemblent. Pêcher, manger, dormir. Puis un nouveau jour se lève, et ça recommence. Pêcher, manger, dormir. Comme tous les jours de la mauvaise saison, en fait.
Bon, d'accord, cette mauvaise saison là n'est pas comme les précédentes. Non pas à cause du temps ou du gel de la rivière, ou d'autres bêtises. Non, à cause de l'arrivée du Clan de l'Ombre.
De mémoire de chat, voilà bien longtemps qu'un tel événement ne c'était pas produit. Le Clan de l'Ombre a profité de la faiblesse de notre nouvelle meneuse, Étoile des Larmes, pour envahir notre territoire. Mais le plus choquant, c'est qu'Étoile Sauvage, chef des Ombreux, est la mère d'Étoile des Larme et que le père de celle-ci est le père d'Étoile du Griffon, meneur du Clan du Vent. Quelle histoire, je vous jure ! Cela signifie qu'Étoile des Larmes est une Clan-mêlée, mais surtout, aucune goutte de sang du Clan de la Rivière ne coule dans ses veines. Enfin bref, vous voyez, on se croirait dans le genre d'histoire de pouponnière dont personne ne se doute que ça sera la réalité un jour.

Les Ombreux se prennent pour les maîtres des deux Clans et nous devons les traiter en "invités" s'il vous plaît. Franchement, ils ont tous perdu la tête, Rivière comme Ombreux -même moi, je ne suis plus moi-même en ce moment.
Heureusement, même s'il y a plus de bouches à nourrir, j'ai une technique secrète -qui ne respecte pas vraiment le code du guerrier, je l'avoue, mais je doute qu'il soit respecté en ce moment- pour toujours avoir le ventre plein. De cette façon, mon poil reste brillant et je ne maigrit pas trop. Les Ombreux ne me dérangent donc pas trop, pour l'instant.


Aujourd'hui, comme à mon habitude, j'ai pêché toute la matinée après mon repas du matin. J'ai décidé de laisser mon apprentie, Nuage de Pluie, se reposer un peu et profiter de la neige. Oui, car il a neigé il y a quelques jours, et le sol est recouvert d'une fine poudreuse blanche. C'est très embêtant pour les autres Clans car les proies vont se réfugier dans leurs terriers mais pour nous, ça ne change rien. J'espère seulement que la rivière tardera à geler, sinon, c'est la famine assurée pour notre Clan. Enfin, pour le moment, la rivière est toujours accessible, donc autant en profiter un maximum.

J'ai donc ramené quatre beaux poissons en fin de matinée, dont un que j'ai gardé dans ma cachette secrette, sous un rocher à l'autre bout des terres de la Rivière, là ou je me constitue une mini-réserve au cas ou il n'y aurait plus de gibier.

J'ai donc laissé trois poissons sur le tas de gibier et j'ai emmené le quatrième, plus gros que les trois premiers, jusqu'à ma cachette, à l'abri des regards.
En fourrant ma patte sous mon rocher, j'ai vu que j'avais donc un total de trois poissons -dont un énorme- et un mulot -on ne sait jamais, ça pourrait servir-. De quoi survivre pendant environ trois ou quatre jours si je partage avec Nuage de Serpent et Nuage de Pluie.
Il faudrait que je ramène plus de proies. La rivière va bientôt geler et il est hors de question que je sois faible devant les Ombreux. Qui sait, ils pourraient en profiter.

Mais j'ai bien mérité une pause. Je retourne rapidement au camp et me choisis un poisson sur le tas de gibier. Évidemment, je ne vais pas piocher dans ma réserve, puisque c'est une réserve pour les jours prochains. Tant qu'il y a du poisson au camp, c'est là-bas que je mangerai.
Mon poisson terminé, je m'étire et décide de faire une sieste. Je me traine jusqu'à la tanière des guerriers, mais des apprentis sont en train de changer les nids. Je les remercie de s'occuper de nous avec une voix chaleureuse qui sonne faux et je me dirige en grommelant vers la sortie du camp. Ou vais-je faire ma sieste ?

Je sors du camp et traverse les roseaux d'un pas rapide. Aucune chance de trouver un endroit chaud et confortable par ici.

À la vue des grands arbres aux branches dénudées, j'ai soudain une idée. Les cerisers, bien sûr ! Je pourrai tranquillement faire ma sieste au pied d'un arbre.
J'inspecte attentivement chaque arbre. Il me semble qu'il y en avait un aux racines écartées... oui, le voilà ! Il est facilement reconnaissable car son tronc est plus épais que les autres cerisers.
Ses racines sont écartées à un endroit particulier, ça fait une sorte de tunnel. Je m'y glisse et débouche dans une mini - tanière souterraine. Tout juste assez grande pour contenir un chat. C'est parfais ! J'y serais au chaud et à l'abri du froid et des regards. Elle pourrait même devenir mon nouveau repaire.
Cependant, la tanière est sous terre, et donc est faite de terre, et c'est assez humide. Je me glisse à nouvau dans le tunnel et sors de ma cachette.
J'inspecte chaque pied d'arbre pour trouver de la mousse sèche. Puis je retourne dans le champ de roseaux et en ceuille quelques uns. Ma récolte terminée, je retourne dans ma cachette et tapisse le sol de mousse et de tiges de roseaux. Puis je m'allonge dessus et pose la tête sur mes pattes. C'est sec et confortable. Mais surtout, il fait chaud et personne ne peut me voir. C'est l'endroit rêvé pour faire une sieste !

Peu à peu, mes yeux se ferment.