Ce matin là, il avait plut à gosses gouttes et des mares de boues et d'eau s'étaient formés dans le camp et sur le territoire alentour. A l'approche de midi, la pluie s'était calmée et s'était réduite à une fine bruine désagréable. Quelques chats courageux étaient sortis patrouiller et certains avaient été forcés à aller chasser. Avec la véritable dictature qu'avait imposé le Clan de l'Ombre, les chats du Clans de la Rivière avaient intérêts à garder la tête basse. Surtout qu'ils s'étaient amaigris et s'étaient affaiblis très rapidement avec les envahisseurs qui les avaient rationnés.
Nuage d'Encre avait la fourrure trempée et les pattes pleines de boue, si bien que l'on ne voyait plus ses brûlures. Il portait entre ses mâchoires une musaraigne, rachitique avec l'eau dégoulinant de sa fourrure. Il avait dû sorti chasser pour prouver qu'il ne profitait pas de la situation pour faire trop de grasses matinées. Mais bon, derrière sa mine d'apprenti docile, il n'était pas ravi de travailler : c'était le travail des esclaves, pas le sien.

L'apprenti alla déposer son butin sur la pile de gibiers à l'autre boue du camp et s'ébroua, jetant des gerbes de boues sur des apprentis du Clan adverse. Sous les mines agacés des novices, Nuage d'Encre ne sourit pas, mais son œil brillant trahit sa satisfaction. C'était tellement amusant de les emmerder ceux-là, surtout qu'ils n'avaient pas intérêt à prononcer le moindre mot sinon, c'était la raclée.
Nuage d'Encre se choisit une grive assez conséquente sur le tas en se servant avec d'autres guerriers, ne laissant aux autres que les proies le s us rabougris et les moins fraiches. Avec son oiseau bien gras en gueule, l’apprenti s'approcha d'Espoir Brisé de son Clan et lui lança :

« Gain de cause sur les faces de poisson, tu veux partager ? »

Nuage d’Encre haussa les épaules au refus du guerrier et s’installa en face de lui. Il dégusterait sa grive seul, mais ça lui importait peu : après tout, il y en aurait plus pour son estomac affamé. Espoir Brisé en profita pour lui faire une remarque sur sa manière de saluer les apprentis du Clan de la Rivière. L’apprenti balafré en eu un ronronnement amusé.

« C’est bon pour la peau. » ricana-t-il en croquant dans son oiseau.

Sur son territoire, il était impossible de chasser sans avoir de tourbe collée aux pattes, sauf pendant la saison chaude. Les marais humides s’étendaient même au-delà des Quatre Chênes et leur odeur collait désormais à la fourrure de chaque chat de son Clan. Pour lui, vivre dans la vase était naturel et sain. Il était amusé de voir des novices d’un autre Clan hurler au désastre dès que sa robe était tachée. De vraies chochottes, se dit-il. Quand on vivait à la dure dans la forêt, se salir devait s’ancrer profondément dans la tête de chacun car la crasse n’est pas importante quand on veut se remplir la panse. Quoi qu’en ce moment, Nuage d’Encre n’était pas malheureux en terme de bectance.
L’apprenti souffla une plume qui était venue se coller à soin nez et tenta un regard vers la tanière de la cheffe –ou du moins, de sa cheffe à lui désormais. Il ne voyait presque plus Etoile Sauvage ces derniers temps. Etait-elle occupée ? Pensait-elle à son baptême ? Lui et sa sœur avaient déjà dépassé les 15 lunes, ils étaient les plus vieux apprentis du Clan. Ils méritaient leur grade.

« J’me demande où elle est, Etoile Sauvage. » marmonna-t-il, pensif, les yeux toujours rivés sur la tanière mousseuse. « Depuis l’exécution de Pelage de Givre, elle s’est retranchée dans ses quartiers… Elle est peut-être vexée de cette traitrise. »

Bien que son ton soit confiant, Nuage d’Encre ne pensait pas sa dernière phrase. Plus que de la rancœur dans les yeux de sa meneuse, il distinguait une autre lueur, lui rappelant un brin la colère, mais aussi la jubilation. C’était elle qui avait organisé l’invasion, qu’elle menait d’une patte de fer. Mais elle était discrète et ne se manifestait que pour d’importants discours. Il espérait que c’était précurseur de bonnes choses par le futur, car il s’ennuyait ferme.