❝ Comme à son habitude, Petite Renarde s'était levée de la patte gauche ce matin-là. Les reines n'avaient cessés de gigoter dans la pouponnière, finissant par réveiller la petite chattes blanches aux tâches noires. Habituées désormais au caractère de chien de leur petite protégée, les chattes restèrent presque de marbre lorsque Petite Renarde cracha tout son venin à leur figure. Cette petite n'avait de toute façon de respect pour personne. Même envers celles qui se relayaient pour la nourrit et l'éduquer. Pourtant, les reines s'étaient occupées d'elle comme de ses frères, sans aucune distinction. Ciel de Verre avait tenu à ce que la cécité de la petite ne soit pas une excuse pour la bichonner, consciente que ça énervait plus la concernée qu'autre chose.

Petite Renarde avait donc maugréer toute la matinée, envoyant souvent balader Petit Pégase quand ce dernier essayait de l'approcher. Parfois la jeune chatte se demandait si son frère n'était pas stupide : elle avait beau le remballer encore et encore, il ne s'avouait jamais vaincu. Petit Caméléon, lui, avait comprit que la jeune chatte blanche ne voulait pas de leur compagnie et ne l'enquiquinait pas. Si seulement il pouvait le faire comprendre à Petit Pégase, ça ferait des vacances à Petite Renarde. Cette dernière ne supportait plus de voir le petit mâle constamment coller à elle, à essayer de la câliner, de lui faire sa toilette ou simplement de discuter avec elle. Depuis le temps, il aurait dut avoir comprit que sa compagnie n'était pas désirée.

Cependant, le langage de Petite Renarde commença à se faire plus fleuri quand les reines insistèrent pour qu'elle joue avec ses frères. Si même elles s'y mettaient, ça n'allait pas le faire, la chatte blanche allait vite perdre patience. Pourquoi devait-elle jouer avec eux, d'abord ? Ils pouvaient bien s'amuser à deux, c'était là toute la magie d'une fratrie impaire : Petit Pégase et Petit Caméléon pouvait se battre autant qu'ils le voulaient, tant qu'ils n'importunaient pas Petite Renarde, elle ne viendra pas leur arracher les moustaches. Mais visiblement, ce manque de sociabilité n'était pas au goût des chattes qui se mirent à la rabrouer les unes derrière les autres. Pour certaines, elle ne deviendrait jamais une guerrière si elle ne créait pas des liens avec ses camarades. Pour d'autres, Petite Renarde ne devait pas négliger ses frères, qui étaient sa seule famille restante.

Agacée, Petite Renarde décida de quitter la pouponnière avant qu'elles ne l'énervent davantage. Habituée à la pouponnière, elle connaissait le chemin par cœur et trouva l'ouverture malgré sa cécité. La chaleur du soleil caressa son pelage immaculé, ce qui arrangea un peu l'humeur de la petite. Se repérant aux odeurs et au bruit, elle évita les guerriers et les apprentis qui déambulaient dans le camp en quête de tâches à accomplir. Personne ne semblait prêter attention à la jeune aveugle qui fondait la foule comme si elle savait exactement où elle posait ses pattes. Pour être honnête, elle se contentait d'éviter les félins qui passaient près d'elle et ignorait totalement dans quelle direction elle se dirigeait.

Elle trébucha alors sur quelque chose, la propulsant menton le premier vers le sol. Petite Renarde se hâta de se relever, espérant que personne ne l'est vu s'étaler ainsi. N'entendant ni rire ni commentaire, elle conclut que sa chute était passée inaperçue et soupira discrètement de soulagement. Sa cécité était déjà un fardeau alors si on y rajoutait la maladresse, elle n'allait pas survivre longtemps dans ce monde de brutes. Se léchant le poitrail pour faire comme si rien n'était, elle tâta cependant du bout de sa patte le responsable de sa chute. D'après le pelage sèche sous ses coussinets, il s'agissait d'un rongeur.

D'un coup de patte rageur, elle envoya voler l'animal, histoire de se venger de la honte qu'il avait faillit lui provoquer. Personne ne fait du tord à Petite Renarde sans en payer le prix, même les animaux morts ! Sa colère légèrement passée, elle décida de s'asseoir et de faire sa toilette, espérant que la chaleur estivale et l'activité des guerriers l'aident à se détendre. Ce qu'elle ignorait, c'est que la souris dans laquelle elle avait frappé avait atterrit sur un félin, une jeune apprentie pour être plus exact. La sœur d'un jeune mâle que Petit Pégase n'appréciait que très guère ... ❞

❝ En temps normal, Petite Renarde est très douée pour ignorer les autres : lorsqu'elle ne voulait pas écouter, elle faisait mine de faire autre chose, comme sa toilette. Quand elle avait entendu Nuage de Poussière l'appeler – c'est elle qui avait du recevoir la souris – la petite chatte avait fait comme si rien n'était, continuant sa toilette l'air de rien. Elle n'avait pas franchement envie de lui parler, surtout qu'elle allait sûrement la disputer. Et Petite Renarde avait bien assez des reines pour lui faire la morale à longueur de journée. Si elle était sortie de la pouponnière, c'était bien pour ne plus les entendre piailler dans ses oreilles.

▬ Pourquoi t’es sortie de la pouponnière ? Et au passage, on joue pas avec la nourriture, tu le sais ça, pas vrai ?

Petite Renarde aurait continué à l'ignorer si Nuage de Poussière ne lui avait pas parlé comme une reine qui rabroue son chaton. La petite chatte s'immobilisa alors, la patte en l'air alors qu'elle la nettoyait consciencieusement. Sa queue noire se mit à se balancer dans son dos, preuve de sa colère. Comment tout le monde lui parlait comme si elle venait de naître ? Certes elle n'avait que trois lunes, mais elle n'était pas stupide pour autant. Un grognement naquit au fond de sa gorge, mais la jeune femelle fit son possible pour se retenir. Elle ne devait pas s'énerver si vite.

Contrairement aux autres chats, la force de Petite Renarde ne réside pas dans ses griffes ni dans ses crocs, mais dans ses mots. Puisqu'elle ne peut pas voir ses adversaires, le combat n'est clairement pas fait pour elle : elle grifferait et mordrait dans le vide ou alors totalement au hasard. Autant dire que, sur un champ de bataille, elle ne ferait vraiment pas long feu. Alors la jeune chatte avait affûté autre chose : sa langue. Et le Clan des Étoiles sait à quel point certains mots peuvent faire plus de mal qu'un coup de griffes.

Ce genre de combat nécessitait une bonne connaissance de l'adversaire pour pouvoir frapper exactement là où ça fait mal, mais Petite Renarde avait en réserve quelques phrases universelles qui convenait à tout le monde. Elle se faisait un plaisir de les tester sur ses frères ou sur les reines, pour lesquelles elle n'avait pas une once de respect, malgré que ce soient elles qui la nourrissent et l'élèvent. Petite Renarde n'avait pas de respect envers ceux et celles qui la prenaient en pitié ou qui croyaient que son handicap la rendait faible. Elle allait leur prouver à tous que ce n'était pas le cas.

▬ Bien sûr que je le sais, je ne suis pas idiote. Et ne me parle pas comme si tu étais ma mère.

Petite Renarde détestait ce genre de comportement à son égard. Elles étaient bien assez nombreuses à l'éduquer – enfin à tenter du moins – elle n'avait donc pas besoin d'une apprentie en plus sur le dos. Apparemment, elle ne serait en paix nulle part. Ni dans la pouponnière, ni au milieu du camp en pleine activité. Où devait-elle aller pour avoir un peu de paix, chez les anciens ?! Eux au moins, ils ne cherchaient pas à lui parler et se contentaient de roupiller. Petite Renarde pouvait donc ruminer en tout tranquillité.

▬ Tu n'as pas quelqu'un d'autre à rabrouer ? Comme … ton frère ? Il semble avoir le chic pour se mettre dans des situations embarrassantes. ❞

❝ Lorsque Petite Renarde se levait de la patte gauche, le plus souvent, sa mauvaise humeur la suivait du matin au soir. Déjà qu'en temps normal ce n'est pas un enfant de cœur, alors quand en plus elle est énervée dès le matin … Petit Pégase, Petit Caméléon et les reines pouvaient en témoigner, Petite Renarde était une véritable furie qui sortait les griffes à la moindre petite parole de travers. Elle avait évidemment conscience que son comportement était plutôt mal vu des adultes et que sa réputation n'était pas jolie-jolie, mais cela semblait totalement désintéresser la petite. Sa cécité ne lui donnait déjà pas la côte, alors il était inutile d'essayer de paraître pour ce qu'elle n'est pas.

La jeune chatte blanche à la queue noire n'avait donc pas peur de s'adresser ainsi à l'une de ses aînées. Nuage de Poussière avait beau être une apprentie, elle ne valait pas franchement mieux que les autres dans l'esprit de Petite Renarde. Tout le monde allait dans le même panier, pas de tri avec elle. Même si la plus jeune savait que son interlocutrice possédait, comme son frangin, des cicatrices que les autres jugeaient par moment, elle n'en restait pas moins une chatte qui la prenait en pitié et qui s'adressait à elle comme si Petite Renarde n'était pas capable de se débrouiller seule ou de comprendre les conséquences de ses actes.

Puisque Ciel de Verre, la mère des jumeaux balafrés, faisait parti des reines qui élevait Petit Pégase, Petit Caméléon et Petite Renarde, cette dernière connaissait l'histoire qui avait valu les cicatrices des deux apprentis. Une bêtise, une action irréfléchie qui les avait défiguré à jamais. Bien évidemment, Petite Renarde était incapable ne serait-ce qu'imaginer l'étendue des dégâts, mais ça ne devait pas être joli à voir. Nuage de Poussière devait d'ailleurs beaucoup complexé, sauf si comme Nuage d'Encre elle ne laissait rien paraître et acceptait les circonstances de sa bêtise. Difficile à deviner.

▬ J’étais pas là pour te rabrouer. C’est juste que j’ai reçu une souris dans la tête, et que ça m’a pas fait vraiment plaisir.

Nuage de Poussière lui parlait avec calme malgré les paroles acerbes que Petite Renarde, ce qui étonnait cette dernière. Plus personne n'avait la patience de lui parler calmement, c'était tout de suite les éclats de voix. Comme si la jeune chatte allait changer juste en lui criant dessus … C'était bien mal la connaître. Néanmoins, le fait que l'apprentie balafrée se montre si calme et conciliante eut pour effet que la colère de la petite chatte retomba aussitôt, pas apaisée mais mois sur les charbons ardents. Nuage de Poussière ne voulait pas se contenter de la disputer, elle voulait lui faire mesurer la conséquence de son acte, dans le calme et la gentillesse.

De plus, Nuage de Poussière s'était couchée en face de Petite Renarde pour être à sa hauteur, la plus jeune le sentait à la caresse du souffle de son aînée sur son visage. Nombreux étaient ceux qui la prenait en haut, en croyant que son handicap ne lui permettait pas de deviner leur position. Ils ignoraient néanmoins que les aveugles, faute de voir, avaient les autres sens plus affinées. Dans le cas de Petite Renarde, c'était principalement l'ouïe et le toucher. Elle était plus sensible aux frottements sur le sol et aux sensations de son corps. De ce fait, elle pouvait facilement deviner lorsque quelqu'un était assit, debout ou coucher.

▬ Je suis désolée d’avoir crié. La prochaine fois, tu devrais juste essayer de faire attention, c’est tout.

Petite Renarde bougonna un peu. Oui bon, c'est vrai que c'était pas bien malin de donner des coups dans les souris mortes, surtout que le gibier était précieux. Elle n'avait pas le droit de traiter cela comme de la chair à corbeau. Elle éviterait de s'en prendre à une denrée précieuse à l'avenir. Bien sûr, elle ne comptait pas avouer sa faute à Nuage de Poussière : il ne fallait pas non plus lui demander la lune. Néanmoins, la jeune chatte à la queue noire avait comprit qu'elle avait fait une bêtise qui dépassait les farces de pouponnière et ne comptait pas recommencer à l'avenir.

Exposées gentiment et sur un ton modéré, les remarques passaient plus facilement dans l'esprit de Petite Renarde. Nuage de Poussière avait comprit qu'il ne servait à rien de s'énerver aux remarques de sa cadette, car c'était ce que cette dernière attendait : qu'on lui tienne tête, afin qu'elle puisse répliquer plus violemment et plus vicieusement. Pousser les autres dans leurs derniers retranchements, c'est ce qu'elle préfère. Voir ses interlocuteurs perdre patiente et monter dans les tons, croyant devenir plus impressionnants. Aux yeux de Petite Renarde, plus le ton monde, plus on est ridicule.

▬ Oui bon d'accord je recommencerais pas.

Bougonna Petite Renarde en jouant distraitement avec un gros caillou du bout de sa patte. Elle détestait devoir reconnaître ses erreurs et s'excuser, c'est pourquoi elle avait choisit une méthode un peu plus rebelle, elle s'excusait sans avoir à le dire. C'était déjà pas mal, Nuage de Poussière avait de quoi être fière. Même si Petite Renarde ne cherchait pas la tendresse ou l'empathie de l'apprentie balafrée. Elle n'en avait pas besoin. Elle n'avait besoin de personne d'ailleurs, que d'elle-même et son franc-parler. Ce n'est que grâce à elle seule qu'elle survivra dans la forêt.

▬ Tu as des cicatrices comme Nuage d'Encre ?

Petite Renarde leva sa patte avant droite et chercha le visage de Nuage de Poussière du bout de la patte. Elle avait fait exactement pareil à Nuage d'Encre il n'y a pas si longtemps. Puisqu'elle ne pouvait pas voir les cicatrices, elle les touchait afin de se rendre compte que leur étendue, de leur forme et de la sensation qu'elles donnaient. Petite Renarde senti, comme sur l'apprenti, la différente nette entre le pelage doux de la jeune reine et sa peau calcinée. C'était étrange sous ses coussinets, comme de la terre dure brûlée par le soleil. Nuage de Poussière devait sûrement beaucoup souffrir de ces balafres ... ❞

❝ Petite Renarde ne saurait vraiment expliquer la sensation que lui donnait les balafres de Nuage de Poussière. Après tout, la petite chatte ne connaissait encore rien du monde et de la vie, mis à part celle du camp. Elle n'avait encore jamais senti la terre et la mousse sous ses pattes, et encore moins la brise du matin dans sa robe blanche et noire. Elle se contentait donc de comparer avec ce qu'elle connaissait : le sol terreux et dur du camp, les épines piquantes dans la pouponnière, la mousse desséchées et les feuilles des litières.

Le fait de toucher remplaçait un peu son incapacité à voir. C'est ainsi qu'elle repérait les choses, les identifiait. Grâce à son odorat, elle parvenait à se représenter les choses dans l'espace, grâce à son toucher, elle évaluait la taille, la sensation, la dureté. C'était un travail bien différent des autres, auxquels un regard suffisait pour tout savoir. Un coup d’œil et on sait que telle ou telle chose se trouve à tel ou tel endroit. Un traître regard et on sait si le ciel est parsemé de nuage, ensoleillé ou noir. Un clignement d’œil et tout s'offrait à vous.

Petite Renarde n'aurait jamais cette chance. Jamais elle ne pourra contempler un lever de soleil ou admirer la Toison Argentée. Ce sont des privilèges dont elle n'a pas le droit de jouir. Son monde se contentait des ténèbres dans lesquelles, malgré tout, elle imaginait des choses selon ce que son esprit pouvait inventer. Comment imaginer le soleil si elle ne l'a jamais vu ? Pour elle, c'est quelque chose de chaud, pas un astre lumineux qui éclaire le jour. Elle ne peut pas imaginer ce qu'elle ne connaît pas. Elle imagine ce qu'elle ressent.

La jeune chatte finit par retirer sa patte. Elle senti le soulagement de Nuage de Poussière, elle attendait son cœur qui battait à tout rompre dans sa poitrine. Une course folle en pleine forêt aurait donné le même résultat. L'apprentie balafrée souffrait énormément de son apparence physique. Si Nuage d'Encre s'était montré plutôt stoïque lorsque Petite Renarde l'avait touché, cela n'avait pas été le cas de Nuage de Poussière. Elle s'était montrée tendue, crispée. Comme si le simple fait de songer à ses cicatrices la faisait souffrir.

▬ Plus ou moins les mêmes… Est-ce que…. Est-ce que c’est aussi horrible à sentir qu’à voir ?

Elle s'en inquiétait, ce qui était compréhensible. Elle ne devait pas se sentir à l'aise dans sa peau avec ces marques indélébiles qui marquait son visage. Le regard des autres est parfois plus dur à supporter que les balafres elles-mêmes. Lui avait-on déjà fait des remarques sur ses blessures ? D'après ce que Petite Renarde avait comprit de l'histoire, Nuage de Poussière avait suivit Nuage d'Encre. Elle avait été une victime comme une instigatrice. Elle devait tellement regretter sa témérité.

La jeune chatte blanche ne sut quoi répondre dans un premier temps. La sensation avait été différence entre son pelage et ses cicatrices, c'était un fait. Néanmoins, Petite Renarde ne pouvait connaître le véritable sens de « horrible ». Elle n'avait jamais rien ressenti de tel. Elle se montrait horrible alors ses frères, certes, mais c'était un comportement et non une sensation. Elle ignorait donc si elle était capable de fournir une réponse valable à Nuage de Poussière. Et ça l'agaçait, de ne pas pouvoir user le même vocabulaire que les autres.

▬ La notion de horrible m'échappe, je ne sais pas ce qu'est quelque chose d'horrible pour vous. Si c'est quelque chose que l'on peut voir, je suis incapable de te répondre.

Elle avait de la peine à l'avouer, mais c'était bien le cas. Petite Renarde n'était pas capable de s'imaginer ce qu'était une sensation horrible. Du moins, pas avec le toucher. Un caractère, ça peut être horrible. Un affreux mal de ventre, ça peut être horrible. Une remarque, ça peut être horrible. Mais une sensation … non. Du moins, Petite Renarde n'en avait jamais ressenti jusqu'à maintenant. Même en touchant les balafres des deux apprentis défigurés.

▬ Cependant … Je n'ai ressenti ni dégoût, ni inconfort en touchant tes cicatrices.

C'était une façon détournée de lui dire que, pour elle, ses balafres ne représentaient rien. Certes, il y avait une différence entre la peau calcinée et le pelage soyeux, mais ça s'arrêtait à là pour Petite Renarde. La jeune chatte voulait bien croire que Nuage de Poussière ressentait un mal aise profond vis à vis du regard des autres mais, avec Petite Renarde, elle n'aura jamais ce soucis. Elle allait juste devoir à faire à ses remarques acerbes et à son caractère de chien. C'était déjà bien suffisant ! ❞

❝ Petite Renarde ne s'était pas attendu à ce que sa réponse rassure directement Nuage de Poussière. Elle était assez loquace pour comprendre qu'il ne suffirait pas cela à la chatte pour se sentir bien dans sa peau. Peut-être l'amour véritable de quelqu'un parviendrait un jour à lui faire oublier la laideur de son visage ? Les poils de Petite Renarde se dressèrent sur son échine. Depuis quand était-elle si fleur bleue ? Elle se dégoûta d'elle-même pendant quelques instants. Néanmoins, et même si elle trouvait ça un peu stupide et limite dégoûtant, elle ne pouvait pas s'empêcher de croire que ce serait la clé.

A l'amour véritable et aux grandes amitiés éternelles, la jeune chatte n'y croyait pas. Elle était bien trop terre à terre pour ça. Pour certains chats, l'amour est la solution à tout, ils croient qu'il réglera tous les problèmes dès lors qu'il aura élu domicile dans leurs cœurs. Petite Renarde trouvait ça pathétique et lâche : se cacher derrière un principe aussi éphémère et irréaliste, c'était comme fuir la vie et ses vérités. Or, pour la plus jeune, la lâcheté est quelque chose qu'elle déteste par dessus tout : lorsque l'on est normalement formé, on est en mesure de faire face aux réalités de la vie.

Lorsque Nuage de Poussière la remercia, Petite Renarde se demanda bien de quoi. Elle n'avait aucune raison de se montrer reconnaissante, la chatte blanche n'avait fait que dire ce qu'elle pensait. Même si l'apprentie se montrait plus sympathique et compatissante que les autres, Petite Renarde ne l'aurait pas épargné. Ce n'était pas dans ses habitudes de faire du favoritisme et cela ne changera sûrement jamais. Nuage de Poussière ou non, si ces balafres l'auraient dégoûtées, elle l'aurait dit sans aucun scrupules.

▬ J’entends souvent les reines râler dans la pouponnière. C’est toi qui les fait tourner en bourrique ?

Changement de sujet. Sûrement Nuage de Poussière souhaitait-elle qu'elles arrêtent de parler de ces cicatrices qui la rendait mal à l'aise et lui pourrissait la vie. C'était louable mais si elle continuait ainsi à fuir, elle allait finir par heurter un mur, et ça ferait bien plus mal que ses brûlures. Néanmoins, Petite Renarde était plutôt mal placée pour parler donc elle ne fit aucun commentaire – pas besoin de chercher des noises à l'apprentie alors qu'elle se montrait si compréhensive à son égard.

La question de son aînée amusa d'ailleurs Petite Renarde qui remua légèrement l'extrémité de sa queue. En effet, avec elle, les reines en voyaient de toutes les couleurs. Elles avaient beau essayer toutes les méthodes qu'elles connaissent d'expérience, rien ne fonctionnait sur la petite. Quoi qu'elles disent, elle leur répondait toujours avec virulence ou moquerie, ce qui ne faisait qu'augmenter leur colère. Néanmoins, il fallait plus que des chattes énervées pour faire plier Petite Renarde.

Elle avait conscience que son caractère lui portait préjudice : à force, les autres se détournaient d'elle, ne supportant pas son sale caractère. Ils préféraient la laisser ruminer dans son coin – au moins, elle ne leur cherchait pas des puces et ils pouvaient vaquer à leurs occupations sans avoir à supporter l'humeur de chacal de la jeunette. Cette dernière savait bien qu'elle était la principale responsable de sa solitude, mais elle s'en fichait. Ça lui allait très bien d'être seule, elle préférait ceux aux misérables qui la prenait en pitié.

Se rasseyant, Petite Renarde leva une patte et la lécha doucement, se prenant d'un seul coup d'un seul l'envi de se nettoyer les oreilles. Un petit caprice de Diva, comme l'appelait parfois Nuage d'Encre. La jeune chatte ne niait pas qu'elle aimait agir ainsi et prenait de plus en plus l'habitude de quémander des choses aux autres : ils préféraient encore lui obéir aveuglement plutôt que de se prendre une rafale d'insultes en pleine figure. Qu'il était aisé d'obtenir ce que l'on voulait parfois !

▬ Elles sont trop stupides pour comprendre que je ne veux pas de leur pitié misérable et dégoûtante. Il n'y a que Ciel de Verre que j'épargne, car elle est sûrement la seule à me comprendre.

En effet, la reine étant aveugle, elle savait mieux que ses consœurs l'attitude a adopté vis-à-vis de Petite Renarde. Bien sûr, comme elle n'était fait que de douceur, la mère des jumeaux balafrés en prenait parfois aussi pour son grade, mais dans l'ensemble elle subissait bien moins que les autres. La plus jeune des deux chattes savaient bien que les reines n'appréciaient pas son caractère et qu'elles voulaient avant tout lui fournir une bonne éducation, mais leurs belles paroles n'intéressaient pas Petite Renarde le moins du monde.

Parfois, Petite Renarde se demandait si son attitude aurait été si insolente si sa mère n'était pas morte en couche. Même si elle n'avait jamais connu Fleur de Brume, elle avait beaucoup entendu parler d'elle et la défunte avait été une chatte appréciée et respectée dans le Clan. Elle ne devait pas vraiment être fière du caractère de sa fille, mais c'était comme ça, elle n'était pas présente pour y remédier. Il arrivait des fois à la jeune chatte de tourner la tête vers ce qu'elle imaginait être la Toison Argentée et se demander ce que ses parents pensaient d'elle, de là-haut ... ❞

❝ Petite Renarde n'avait aucune honte et aucun scrupules à parler des autres reines avec autant de dédain. Elles n'avaient que ce qu'elles méritaient, la petite chatte était toujours honnête avec les autres et envers elle-même. Même si parfois la vérité pouvait blesser, elle ne s'interdisait pas de faire part du fond de ses pensées. Quand elle n'aime pas quelque chose ou quelqu'un, elle le dit. Que ce soit son frère, une reine ou même un vétéran, ils étaient tous sur le même pied d'égalité pour Petite Renarde. Aucun grade n'existait dans son esprit lorsqu'il était question de dire ce qu'elle pensait réellement.

Ainsi, elle n'avait pas eu honte d'avouer ce qu'elle pensait des reines et même de Ciel de Verre à la propre fille de cette dernière. Et même si le comportement de Petite Renarde à l'égard de la chatte aveugle avait été négatif, elle ne s'en serait pas cacher. Cela n'aurait peut-être pas plut à Nuage de Poussière mais tant pis : elle voulait une réponse, elle en obtenait une honnête et franche. Au moins, on ne pouvait pas lui reprocher d'être une menteuse, même si quelques chats devaient espérer qu'elle le soit, de temps en temps. Malheureusement pour eux, ça ne sera sûrement jamais le cas …

▬ Ouais, Ciel de Verre doit te comprendre mieux que personne… Elle est vraiment gentille.

L'amour que portait Ciel de Verre à ses enfants n'était pas une fable et les jumeaux balafrés le lui rendaient, jamais à leur manière. Nuage de Poussière n'avait pas l'air d'être le genre de chatte à se cacher sous les jupes de sa mère, tout comme son frère d'ailleurs. Ils avaient tous les deux ce besoin d'indépendance qui leur prouvait que, derrière leurs horribles cicatrices, ils restaient des chats comme les autres. Ils n'avaient pas besoin de la pitié d'autrui pour relever la tête et avancer. Exactement comme Petite Renarde, même si leurs handicaps n'étaient pas réellement comparables.

Au fond d'elle, et même si elle ne l'avouerait sûrement jamais, Petite Renarde espérait devenir comme Ciel de Verre plus tard. Même avec sa cécité, elle était parvenue à devenir une guerrière. Et même si elle s'était tournée davantage vers les chatons que vers le combat, il n'en restait pas moins qu'elle était arrivée à surmonter son handicap. Petite Renarde y arrivera-t-elle, elle aussi ? Elle avait davantage de caractère que la reine aveugle, alors elle était en droit d'y songer. Personne ne pouvait savoir si elle en était capable ou pas, mis à part elle-même.

▬ Je vois tes frères d’ici. Ahlala…. On est pareilles sur ce point-là : on trouve que nos frères sont des imbéciles !

Instinctivement, Petite Renarde tourna la tête vers la pouponnière. Elle ne pouvait certes pas la voir mais elle savait où elle se trouvait et elle avait perçu l'odeur de ses frères. Petit Caméléon et Petit Pégase semblaient se trouver à l'entrée de la pouponnière, sûrement étonnés de la voir en compagnie de Nuage de Poussière. Et surtout, aussi calme. Normalement, Petite Renarde est forcément égale à crise de nerf, insulte ou que sais-je encore. La voir donc aussi détendu auprès de quelqu'un était plus inattendu.

Néanmoins, la petite chatte blanche n'avait que faire de leur étonnement. Elle aurait aimé leur cracher de partir et d'arrêter de l'épier comme si elle risquait de mourir à l'instant même où elle mettait une patte dehors. Petit Caméléon n'était pas forcément protecteur à son égard, mais Petit Pégase … Il était une véritable tique qui s'accrochait à la fourrure. Cependant, même de la bile de souris ne parvenait pas à le déloger. Suite à leur grande dispute il y a quelques semaines, Petit Pégase se montrait beaucoup plus distant, ce qui ravissait la petite chatte.

▬ Imbéciles ce n'est pas le mot. Petit Caméléon se fiche de moi comme je me fiche de lui et Petit Pégase … Par le Clan des Étoiles, ne sait-il donc pas ce que ça veut dire « arrête de me coller » ?! Je passe ma vie à l'envoyer balader et il revient … Tu as de la chance de n'avoir qu'un frère même si, je te l'accorde, ce n'est qu'une boule de poil arrogante.

Depuis sa dernière discussion avec Nuage d'Encre, Petite Renarde l'évitait comme la peste. Elle avait entrevue l'espoir d'avoir enfin rencontré quelqu'un qui l'a comprenait mais elle avait vite déchanté. L'apprenti balafré avait lui aussi cru que la petite chatte recherchait la pitié d'autrui ce qui était loin d'être le cas. Nuage de Poussière était beaucoup plus agréable à vivre que lui. Mais d'un autre côté, Petite Renarde adorait la façon d'être de Nuage d'Encre. Il y avait quelque chose en lui, une sorte de prestance et d'orgueil qui lui plaisait.

Néanmoins, elle vivante, jamais elle ne le dirait à voix haute et à qui que ce soit. Cette boule de poil stupide ne méritait pas une telle attention et Petite Renarde espérait qu'il se coince la queue dans les ronces juste pour avoir le loisir de se moquer de lui. Quand elle sera apprentie – en espérant que ça arrive – elle ne se gênera pas pour mettre des épines dans sa litière, juste pour lui rappeler qu'elle avait la rancune tenace et qu'elle ne cesserait qu'une fois sa vengeance accomplie. Rien qu'en y pensant, elle balança sa queue à droite et à gauche d'amusement. ❞