❝ La journée de Fève de Cacao s'était annoncée comme toutes les autres. Ce matin-là, il s'était levé avant l'aurore afin de prendre part à la patrouille de l'aube, qui contrôlait les frontières avec le Clan de la Rivière. Il s'était donc joint à deux guerriers et, ensembles, ils avaient refait les marquages et s'étaient assurés qu'aucun ennemi ne s'était introduit sur leur territoire. Lors des patrouilles, le jeune guerrier était toujours très sérieux et responsable, il ne pardonnait aucune violation de frontières. Leurs ancêtres avaient décidés des limites de chaque territoire bien avait leur naissance et leur mission était de les respecter et de les contrôler. Fève de Cacao pouvait se montrer intraitable à ce sujet.

De retour de patrouille, il s'était restauré près de la tanière des guerriers, appréciant la souris bien dodue qu'il avait choisit. Il avait ensuite confié son apprentie à la patrouille de midi et s'était autorisé une petite sieste, consistant à rattraper le bout de nuit qu'il avait sacrifié au profit de son excursion matinale. L'espion brun-chocolat s'était donc blotti dans sa litière dans la tanière quasiment vide et avait rechargé ses batteries, dormant comme un loir. D'ailleurs, si ce guerrier bruyant n'était pas venu s'installer près de lui, Fève de Cacao ne se serait réveillé qu'en fin d'après-midi.

Heureusement néanmoins, il quitta sa tanière un peu après midi. La chaleur de l'après-midi l'accueillit alors qu'il déambulait dans le camp, en quête de chose à faire. C'est en passant près de la pile de gibier qu'il constata à quel point il serait utile d'aller chasser. Nuage du Citron allait bien pouvoir se passer de lui aujourd'hui, les réserves étaient plus importante avec le mauvais temps qui se profilait. Partout dans la forêt les feuilles commençaient doucement à prendre des teintes jaunes et orangés, annonciatrice de la saison des feuilles mortes et de l'automne/

Fève de Cacao avait donc quitté le camp au petit trot et allait gravit la pente en quelques bonds grâce à ses longues pattes. Il observa un instant le bivouac de sa tribu en contre bas puis disparu entre les arbres. Le sol, encore recouvert d'herbe, de terre et de mousse, s'était un peu réchauffé depuis la patrouille de ce matin, même si les feuillages épais des arbres n'offraient pas au soleil la possibilité de l'atteindre de plein fouet comme il le faisait sur les roches grises et brûlantes des Rochers du Soleil.

Le jeune espion chocolat prit la direction du Grand Sycomore, espérant trouver du gibier à plumes dans cette région. Sa prière fut sûrement entendue car, l'instant d'après, il humait le parfum d'un merle. Le cherchant du regard, le mâle finit par l'apercevoir à même le sol, occuper à déloger des vers de la terre meuble. Adoptant aussitôt la position du chasseur, Fève de Cacao s'approcha lentement, son pelage brun se confondant avec la couleur de la terre et des troncs. Il s'immobilisa devant une racine qui établissait une frontière entre lui et sa proie.

S'il se risquait à la contourner, il entrait directement dans le champ de vision de l'oiseau. Elle était bien trop près du sol pour qu'il essaie de passer par dessous. Il devait donc la franchir d'un bond. Néanmoins, si Fève de Cacao sautait par dessus, le bruit de ses pattes retrouvant le sol alerterait le merle. Le jeune mâle devait donc calculer sa trajectoire et évaluer son saut afin de passer par dessus la racine et atterrir directement sur sa proie. Bien sûr, la légèreté et sa longueur de ses pattes lui rendaient la tâche plus facile, mais il devait tout de même agir avec intelligence.

Il lui sembla qu'une éternité s'écoulait tandis qu'il préparait son saut. Heureusement le merle ne semblait pas presser de partir, il avait trouvé une zone très riche en ver et s'en mettait plein la panse. Fève de Cacao prit une grande inspiration. Il se sentait prêt à attaquer. Mettant tout son poids dans son arrière train, il s'en servit comme d'un ressort et effectua un bond prodigieux, passant largement au dessus de la racine et plongeant droit vers le merle. Quand ce dernier aperçu le guerrier, il était trop tard. Fève de Cacao emprisonna l'oiseau dans ses griffes et le tua avant qu'il n'alerte toute la forêt.

Fier de sa prise, Fève de Cacao se dressa bien droit sur ses longues pattes et déplora que personne ne l'ait vu faire. Il n'était pas vantard, mais des compliments de temps en temps ça ne tuait personne. Retournant auprès de la racine, l'espion chocolat gratta la terre à sa base et y enfouit l'oiseau, le dissimulant sur la terre et les feuilles qu'il trouvait à porter. Il n'aurait plus qu'à le récupérer à la fin de son excursion de chasse. Excursion qui commençait bien, cela dit en passant. Grâce à sa petite sieste, Fève de Cacao se sentait au sommet de sa forme et comptait bien continuer sur cette lancée.

Alors qu'il trottait le museau en l'air en quête de fumet de gibier, l'odeur qu'il avait apprit à ses dépends à bien reconnaître vint chatouiller ses narines. Chat domestique ! Ça sentait le chat de Bipèdes à plein nez. Il était rare qu'ils s'aventurent si loin dans la forêt, le visiteur du jour était soit très téméraire soit très stupide. Ni une ni deux, Fève de Cacao oublia sa mission première et suivit la piste du chat domestique. Il était bien décidé à le chasser de ses terres illico-presto, sa place n'était pas dans les bois mais dans son jardin et son panier douillet.

En bon pisteur, Fève de Cacao ne mit pas longtemps à retrouver le propriétaire de cette odeur. Ou alors, la propriétaire. Le mâle repéra sans mal la petite femelle blanche, assise tranquillement au pied du Grand Sycomore, comme si elle n'avait pas conscience du danger que représentait la forêt. Elle observait la forêt avec fascination et, tout à sa contemplation, n'avait même pas remarqué la présence de Fève de Cacao. Il fallait dire qu'en tant qu'espion, il avait un don tout particulier pour se dissimuler et donc devenir invisible aux yeux des autres habitants des bois. Néanmoins, il ne comptait pas rester cacher plus longtemps.

▬ Toi, là ! Tu es sur le territoire du Clan du Tonnerre, ta présence en ces lieux est non-désirée !

Cracha-t-il avec mépris à l'encontre de la jeune femelle blanche, bondissant des buissons comme un fauve en chasse. Son poil n'avait pas encore gonflé mais il montrait les crocs et tout dans ses expressions faciales prouvaient qu'il ne rigolait pas et qu'il était prêt à attaquer si jamais la visiteuse l'ignorait. Depuis son expédition en ville il y a de cela quatre lunes, il ne supportait pas les chats domestiques et se montrait intransigeant et intolérant envers eux. Cette petite minette n'avait pas eu de la chance de tomber sur lui pour sa première excursion en forêt ... ❞

❝ Fève de Cacao, menaçant, toisait le chat domestique toutes griffes dehors, sa queue s'agitant follement dans son dos. A en juger par la réaction de l'intruse – soit son bond en arrière doublé par son échine courbée – elle ne l'avait pas entendu arrivé et avait été surprise par sa soudaine apparition. Le guerrier chocolat n'était pas peu fier de cela : après tout, il était un espion. Les approches furtives et le camouflage, c'est son dada. Il a été entraîné pour ça, pour se rapprocher discrètement et se fondre dans la végétation. Son pelage couleur écorce était d'ailleurs un avantage pour disparaître au milieu de la forêt.

La chatte domestique ne semblait pas vieille et son poil soyeux était la preuve que ses Bipèdes prenaient soin d'elle. Sa fourrure blanche se découpait très nettement sur le tronc sombre du Grand Sycomore, comme la lune sur la voûte céleste. N'importe quel félin, des Clans ou non, aurait put la repérer sans soucis. Elle ne faisait pas vraiment d'effort pour se cacher, comme si elle ne se doutait pas du danger de la forêt. N'avait-elle jamais entendu les fables que les chats des villes racontaient à propos des tribus ? Ces chats sauvages qui vivaient sans foi ni loi et qui se faisait les griffes sur les os de leurs proies ?

La jeune reine finit par se détendre, le choc de l'apparition passée. Néanmoins, son visage exprimait sa déception. Elle avait sûrement cru qu'elle ne croiserait personne par ici, ou du moins par des êtres si caractériel. La pauvre était en effet pas tombé sur le bon félin. Un autre que Fève de Cacao se serait contenté de la raccompagner à la frontière en la mettant en garde quant aux dangers des bois mais le matou brun abhorrait tellement les chats domestiques qu'il ne comptait pas se montrer aussi clément et diplomate. Il voulait l'effrayer, tellement qu'elle n'oserait même plus quitter le nid de ses bipèdes avant de nombreuses lunes.

▬ Veuillez m’excuser. J’ai pénétré sur vos terres sans savoir qu’elles s’étendaient tout autour du Grand Sycomore que je vois depuis ma maison.

Elle avait parlé d'une voix douce, posée et délicate. Contraste flagrant avec les paroles dures et acerbes de Fève de Cacao. Mais ce dernier n'allait pas se laisser berner par des politesses et des excuses. Qu'importe que le Grand Sycomore soit un territoire du Clan du Tonnerre ou non. Un chat domestique n'a rien à faire dans la forêt, à la toute base. Leur place est chez leur Bipède, dans un panier ou dans leur jardin à la végétation artificielle. Chacun chez soi, et les chatons seront bien gardés. Les tribus défendent leurs territoires coûte que coûte, autant les unes des autres que des solitaires et des chats domestiques.

Néanmoins, Fève de Cacao se demandait bien où se trouvaient le nid de cette reine. Le Grand Sycomore se trouvait loin de la ville des Bipèdes qui s'étendaient aux abords des Grands Pins. Avait-elle donc traversé les bois en passant près des Rochers aux Serpents pour parvenir ici ? Si c'était le cas, elle était soit très naïve soit vraiment courageuse. Ou alors était-elle passée par derrière, en longeant le Chemin du Tonnerre ? C'était un itinéraire plutôt dangereux mais elle était néanmoins sûre de ne croiser aucun guerrier. Difficile à deviner.

▬ Je rêvais de venir voir le grand arbre …

Le Grand Sycomore, un lieu touristique ? C'était difficile à croire. Les chats évitaient de trop s'y attarder : le Chemin du Tonnerre et le Clan de l'Ombre étaient trop près. Ce n'était donc pas le terrain de chasse le plus exploité. Pourtant, il était plutôt giboyeux, surtout en oiseau. La preuve, la première proie du jour de Fève de Cacao était un merle. Cette zone était cependant souvent sujette à des patrouilles frontalières, la tribu des bois s'assurant que leurs ennemis de l'autre côté de la route n'aient pas tenté la moindre petite invasion.

Cependant, l'espion couleur chocolat ne se laissa pas attendrir par les « rêves » de la chatte domestique. Maintenant qu'elle l'avait vu, elle devait débarrasser le plancher. Fève de Cacao ne tolérait pas sa présence en ces lieux. S'il voulait reprendre sa chasse, il devait d'abord chasser la reine au joli manteau blanc. Indépendamment de sa volonté, le visage de Nuage de Papillon lui revint en mémoire. Cette chatte connaissait-elle sa sœur ? Cela faisait quelques lunes maintenant que l'ancienne apprentie avait décidé de vivre avec les Bipèdes. Il se pourrait bien qu'elle ait déjà parlé à cette étrangère …

Fève de Cacao secoua la tête. Nuage de Papillon l'avait trahi, lui et la tribu. Il n'avait plus à se soucier d'elle. Elle avait fait son choix, et pas le bon aux yeux de l'espion cacao. Certes, il regrettait leur complicité d'antan, lorsqu'ils partaient chasser en se mettant au défis de rapporter la plus grosse souris. Tout allait bien pour eux autrefois. L'assassinat de Nuage de Roseau avait mit fin à cette belle histoire de famille. Il avait emporté avec lui dans les étoiles l'âme de guerrière de Nuage de Papillon ainsi que l'empathie et la jovialité de Plume de Faisan. A jamais, Nuage de Roseau avait emporté leurs cœurs dans les cieux.

▬ La forêt n'est pas un endroit pour les chats domestiques. Tu n'as jamais entendu parler des chats sauvages qui les habitent ? On ne fait qu'une bouchée des petites minettes de ton genre.

Certes, ils n'étaient pas cannibale mais Fève de Cacao voulait lui faire peur pour la dissuader de remettre les pattes ici un jour. Plutôt que nier les histoires loufoques sur eux propagées en ville, il était mieux que les confirmer et même de les exagérer. Ce n'est qu'ainsi que les chats domestiques comprenaient qu'il fallait mieux pas tenter le diable et rester du bon côté de leur clôture. Bien sûr, ils restaient les téméraires – ou les idiots – qui venaient jeter un œil mais qui détalaient comme des lapins au moindre craquement de branches. Chat domestique un jour, chat domestique pour toujours. On ne se refait pas … ❞