C’était le matin, le soleil venait tout juste de se lever, le camp était encore endormi. La silhouette imposante de la guérisseuse traversa silencieusement le camp pour se diriger vers la pile de gibier. Elle y prit un beau poisson et retourna s’asseoir sous le soleil levant. Elle s’installa, s’étira, et Menthe Poivrée commença à déguster son déjeuner. Un ronron de plaisir résonna dans sa gorge lorsqu’elle planta ses crocs dans son poisson. Elle mangea ainsi, dégusta et se releva pour aller jeter ce qu’il restait du repas à l’arrière du camp.
Menthe Poivrée salua le guerrier qui était posté à l’entrée du camp et partit au petit trot à travers les roseaux, en longeant la rivière. Elle partait cueillir diverses plantes qui manquaient à sa réserve. Ça ne prit pas longtemps, et la guérisseuse retourna au camp, la gueule chargée de feuilles, pour déposer son butin. Elle rangea rapidement tout ça, alla voir si le chat qui était allongé dans son antre se portait bien et repartit en dehors du camp. Il était tôt et Menthe Poivrée partit, comme elle le faisait souvent, se promener, partout et nulle part, penser un peu seule.
De nouveau, elle longea la rivière, qui s’écoulait lentement, sans un bruit, pour la traverser en sautant de pierre en pierre: elle n’avait pas envie de se mouiller les pattes. Cependant, le clan des Etoiles ne semblait pas être de cet avis là. Alors que Menthe Poivrée sautait de rocher en rocher, elle perdit l’équilibre et sa tête s’érafla contre le galet. Un peu secouée, elle regrimpa sans mal dessus et se calma. Elle sentit un liquide chaud et poisseux lui couler contre la joue et une vive douleur au dessus de son œil. Elle trempa avec précaution sa patte dans l’eau fraiche et la passa sur son œil. Lorsqu’elle la retira, elle était colorée de pourpre et la guérisseuse se rendit compte alors qu’une belle partie de son pelage était salie. Elle ne savait pas si son œil était touché mais même si ça lui faisait mal, ce n’était pas suffisant pour qu’elle se soit crevée l’œil. Et puis elle y voyait clair. Menthe Poivrée finit de traverser en faisant attention, et arrivée de l’autre côté, elle contempla son reflet pour évaluer l’étendue des dégâts : une grande balafre zébrait le côté droit de son visage, qui partait du bas de son oreille et finissait sous le coin de l’œil. Lorsqu’elle battait des paupières, elle se mettait du sang dans les cils et ça la gênait. La femelle tigrée entreprit de nettoyer la plaie à vif à l’eau claire –en plus elle ne s’infecterait pas-, en serrant les dents, histoire qu’elle ne se balade pas la gueule en sang. Car oui, elle ne comptait pas rentrer tout de suite. Elle avait prévu de faire une petite balade, et tant que son œil ne pendouillerait pas hors de son orbite, rien ne l’empêchait de repartir.
Le soleil montait rapidement dans le ciel, la guérisseuse se retrouva devant les Quatre Chênes. Elle les contourna en les contemplant sans les lâcher des yeux et soudain, sans vraiment comprendre comme elle avait atterri là, se trouva devant le Chemin du Tonnerre. Elle fronça les sourcils en grimaçant et prit une profonde inspiration, le museau levé vers le ciel : elle n’avait tout de même pas franchi la frontière sans s’en rendre compte, si ? Non. Elle se détendit. Menthe Poivrée fit quelques pas vers la grande étendue puante et un spectacle mi drôle mi inquiétant se déroula sous ses yeux vert-jaune : un apprenti –probablement du clan de l’Ombre, puisqu’elle se trouvait juste en face de leur frontière-, tout joyeux, se roulait au beau milieu du chemin noir, comme si de rien n’était ! Elle se crispa de nouveau. Paniquée, la guérisseuse courut vers la route d’une drôle de démarche –tout le bas de son corps étant encore trempé-, et cria en arrivant au bord, n’osant pas mettre une patte là-dessus :


-Hey toi ! *pause* Tu devrais pas rester là ! Si… Si un monstre arrivait !

Le chat qui était en train de se rouler sur le chemin du Tonnerre avait beau être du clan de l’Ombre, Menthe Poivrée se sentait capable de laisser un jeune –même ennemi- risquer sa vie ainsi. Elle avait conscience que celui-là était peut-être un psychopathe qui viendrait massacrer son clan dans une dizaine de lunes. La guérisseuse frissonna en regardant de nouveau l’étendue puante : elle ne saurait pas trop dire si c’était l’odeur de la route ou bien celle du clan de l’Ombre qui lui parvenait qui était la plus répugnante. Visiblement inconscient de ce qu’il faisait, le jeune chat bascula sa tête en arrière pour voir la femelle tigrée –à l’envers, grâce à sa position improbable. Il répondit, au comble du j’mefoutisme :
Oh et bien je servirais d’appât, je crois. Cependant... Tu me parles de danger alors que tu as l'air mieux amochée que moi.
 
Menthe Poivrée remua de la queue et se passa la patte sur son arcade sourcilière et grimaça de douleur. Lorsqu’elle la regarda, elle vit du sang coagulé collé sur sa patte. La guérisseuse se redressa et fit les gros yeux lorsqu’elle vit l’horrible blessure qu’elle n’avait pas remarquée jusqu’alors. D’ici, elle ne pouvait cependant pas bien voir : elle ne voyait que de la fourrure noire mais elle pouvait être sûre que ce n’était pas naturel. La chair dessous semblait meurtrie, peut-être brûlée. Mais surtout, surtout, elle pouvait distinguer une énorme balafre qui traversait son œil. Elle était un peu choquée : sûrement à cause du fait qu’elle soit guérisseuse, donc plus sensible à ce genre de choses, mais aussi parce qu’il était terriblement jeune pour avoir ce genre de blessure.
J'ai à faire avec une mangeuse de truite, n'est-ce pas ?
 
Menthe Poivrée ne répondit pas immédiatement, et regarda nerveusement de gauche à droite, de droite à gauche, plusieurs fois de suite. Elle était terriblement stressée de voir arriver un monstre de bipède, d’un instant à l’autre, et de le voir faucher le jeune félin inconscient. Excessivement prudente, elle posa la patte sur la surface dure, frissonna, et répondit, sans le regarder, beaucoup trop concentrée à regarder si un monstre n’arrivait pas :
-Oiuais c’est ça…. Et toi tu…
 
Elle se hissa sur le chemin noir et fit quelques pas timides vers l’apprenti, en regardant le plus possible si rien n’arrivait. Elle était terrifiée. Elle réussit à dire, se détendant un peu –après tout, si un monstre venait, elle l’entendrait.
--Je… Je suis Menthe Poivrée, guérisseuse des « mangeurs de truites » comme tu dis. *pause* Et toi ? Qu’est-ce que… Tu fais ici ?

Menthe Poivrée était, tout au fond d’elle, extrêmement intriguée par les blessures du jeune chat au nom inconnu. Elle aurait voulu le questionner dès maintenant, mais se retint. Ce n’était pas des manières, et elle ne voulait pas le brusquer. 

Menthe Poivrée se força de respirer profondément, et de continuer d’avancer vers l’apprenti. À vrai dire, elle ne savait pas vraiment pourquoi elle continuait de marcher : elle aurait pu simplement le prévenir du danger et tourner les talons, mais une force invisible semblait la retenir ici. Pourtant il n’y avait qu’une seule chose qu’elle avait envie présentement, c’était de s’éloigner de ce chemin de malheur. La guérisseuse était à moins de la moitié de la distance entre le bord de la route et où était toujours installé le chat au nom inconnu.  D’ailleurs, à en juger par le sourire et l’air amusé du jeune félin, il était en train de se moquer ouvertement d’elle, ce qui ne la calme pas d’un poil. Excusez-la d’avoir peur d’un réel danger qui a tué plus d’un guerrier par le passé !
Elle voulait se détendre mais sa queue refusait de battre furieusement l’air. Menthe Poivrée lança un regard noir à l’apprenti quand il répondit :
Relâche toi, guérisseuse. Si un monstre arrivait, on le saurait. *pause* A moins d'avoir des jambes en pousses d'algue, tu t'en tireras.
 
Peut-être riait-il de sa propre blague ou bien qu’il continuait de se moquer d’elle, mais peu importe, Menthe Poivrée était loin de trouver cela drôle. Un grondement sourd résonna dans sa gorge, et elle continua d’avancer à petits pas. Sorti de son hilarité mais pas moins provocateur, il continua :
Eh ma belle, si t'as trop peur, tu peux aussi rester sur le côté. Je t'en voudrais pas, après tout, tu es une femelle et une guérisseuse. Personne n'est parfait.
 
Menthe Poivrée releva la tête vers lui, les yeux envoyant des éclairs. Elle était à quelques mètres seulement de lui à présent. Elle essaya d’avancer avec le plus d’assurance possible pour se redonner une prestance et se planta à quelques pas  de lui. Elle était furieuse mais essayait de ne pas exploser au visage de l’apprenti. La guérisseuse avait tout bonnement horreur qu’on les méprise, elle et ses collègues guérisseurs, alors que leur rôle était indispensable au clan. Au delà d’un manque de respect flagrant, Menthe Poivrée voyait ça comme une insulte complètement insensée. Elle essaya de ne pas penser au fait qu’il venait de débiter une ignominie complètement misogyne, parce qu’elle savait que ça l’énerverait encore plus. Elle se contenta de répliquer, cassante, sa peur ayant presque disparu.
-Parce que ce n’est pas parfait d’être guérisseuse ? *pause* Tu serais mort une douzaine de fois si ta guérisseuse n’avait pas été là !
 
Oui, elle aurait voulu rester calme, mais apparemment, c’était raté. Dommage.

Visiblement, la réponse de Menthe Poivrée, prononcée sans que son esprit ait eu son mot à dire, avait bien énervé l’apprenti. Apparemment, le regard assassin qu’il lui lançait était aussi furieux que celui de la guérisseuse quelques instants plus tôt. Il répondit, piquant :
Tu vis au Clan de l'Ombre ? Faut croire que non, vu les bêtises que tu mes sors. Les guérisseurs sont des paresseux et des lâches. Si ce guérisseur avait correctement fait son travail -qui consiste à quoi ? Préparer trois herbes et deux gousses d'ail ?- j'aurais pas cette tronche, que dis-je... Cette gueule.
 
Menthe Poivrée ne dit rien, le visage étrangement neutre, son regard jaune planté dans celui de l’apprenti. Il semblait vouer une haine sans faille contre les guérisseurs, chose que la femelle n’avait d’abord pas comprise. Mais après son petit monologue, elle comprenait mieux où il avait voulu en venir : son guérisseur n’était pas parvenu à lui rendre son visage d’avant, et il mettait dans le paquet ceux des autres clans. Cependant, Menthe Poivrée ne comprenait pas une chose : jamais son confrère du clan de l’Ombre n’avait parlé du cas de l’apprenti –qui était pourtant sacrément grave. Si il avait demandé de l’aide à la soigneuse de la Rivière, celle-ci l’aurait aidé sans hésiter. Mais il ne l’avait pas fait, et ça la préoccupait réellement.
Elle ne se concentra pas sur les insultes que l’apprenti donnait aux guérisseurs pour ne pas redémarrer au quart de tour et le laissa continuer, lorsqu’il se mit à lui tourner autour, visiblement hostile :
Où étaient les guérisseurs quand j'avais besoin d'eux ? Que faisaient-ils quand les nôtres souffraient d'agonie ? Ils priaient ? Ils demandaient au Clan des Etoiles de l'aide ? Utile. Vraiment. Pourtant, on ne demandait pas beaucoup.
 
Menthe Poivrée était parfaitement immobile, suivait lentement le matou balafré des yeux, se demandant ce qu’il lui voulait, s’il voulait se passer les nerfs sur elle ou quoi. Soudain, elle se tourna vers lui et lui murmura presque :
-Tu as été déçu, je le comprends bien ça… *pause* Mais dis-toi bien que si ton guérisseur était si nul que ça, tu serais mort !
 
Elle soupira, se demandant s’il allait lui sauter dessus et l’égorger immédiatement ou s’il attendrait un peu. Elle continua :
-Je suis désolée. Si j’avais su ce qui t’était arrivé, je serais venue aider. Si j’avais su…
 

Eviter un conflit en rejetant la faute sur quelqu’un d’autre. Pas très brave, mais elle ne tenait pas à se faire attaquer par un apprenti. Elle le regardait fixement en attendant sa réaction.