Il était tard. Très tard. Trop tard pour que la guérisseuse soit encore occupée à s’affairer dans ses plantes, graines et baies. Pourtant, l’heure n’était pas prête d’arrêter Menthe Poivrée si elle avait décidé de continuer de travailler. Si vous lui demandiez pourquoi elle est encore debout à cette heure, elle vous répondrait sûrement :  « De toute façon, je ne suis même pas fatiguée. » Foutaises. Cette chatte fait partie de la catégorie de personnes qui ont les yeux fatigués, qui tiennent à peine sur leurs pattes mais qui se bornent à vouloir faire croire le contraire aux autres. À moins que la guérisseuse ne soit moins sensible à la fatigue que ses camarades ou qu’elle y soit habituée à force de ne jamais dormir –qui sait, ce serait peut-être possible- , elle avait l’impression de péter la forme, à fouiner dans tous les coins de sa tanière.
Visiblement parfaitement éveillée, elle se faufila en dehors de son antre et déclara à celui qui montait la garde –sans lui demander son avis- qu’elle se rendait aux Quatre Chênes pour cueillir une plante quelconque. Le félin avait bien essayé de lui dire d’attendre le lendemain matin ou de prendre quelqu’un pour l’accompagner, elle n’en écouta rien et se mit en marche. Et puis de toute façon, qu’est-ce qui pourrait bien lui arriver sur un territoire libre, et sacré qui plus est ? Et puis, à cette heure-ci, il n’y aurait personne. Et puis elle lui disait déjà où elle allait, il devrait être content ! Ou pas, d’ailleurs, parce qu’il avait peut-être prévenu quelqu’un pour la rattraper. Menthe Poivrée accéléra le pas.
 
Bientôt, quatre ombres noires mais bien visibles sous la lumière des étoiles s’élevèrent dans le ciel. En fait, elle avait menti : elle n’allait pas cueillir des plantes mais se recueillir dans un endroit, calme, bien dégagé, où pour observer les étoiles il ne faudrait que lever la tête. Elle était en somme à l’endroit parfait. La guérisseuse se trouva un petit coin avec de l’herbe tendre et s’allongea dessus. Elle regarda longtemps les étoiles, quelques étoiles filantes aussi, puisque c’était la saison, et se demanda ce que cela pouvait bien signifier.
Un long moment passa jusqu’à ce qu’une odeur se fasse plus importante que les autres dans cet endroit si parfumé. Elle ne se dressa sur ses pattes que lorsque l’odeur du clan de l’Ombre se fit plus insistante. Un chat du clan de l’Ombre ? A cette heure ? Il y avait donc quelqu’un d’aussi timbré qu’elle pour se rendre aux Quatre Chênes en pleine nuit ? Non, ce n’était pas un parfait inconnu qui se présentait là, elle connaissait ce félin. L’odeur lui était familière. Elle pria intérieurement pour que ce ne soit pas encore Etoile Sauvage ou Nuage d’Encre, l’apprenti qu’elle avait croisé sur le Chemin du Tonnerre. Bientôt, un nom s’imposa à son esprit : ce devait sûrement être la personne présente ici. Hésitante, Menthe Poivrée cria son nom, un peu en désespoir de cause :
   
-Fleur de l’Aube ? Fleur de l’Aube c’est toi ?