Le soleil dardait ses derniers rayons chauds de la saison des feuilles mortes, après plusieurs jours pluvieux et frais, cet après-midi avait été chaude si bien que les reines avaient laissé sortir leurs chatons de la Pouponnière. Pelage Fauve était en train de jouer avec eux car ils commençaient à s'ennuyer depuis que Nuage d'Ange et Nuage de Myrtille avait été nommés novices. La Pouponnière semblait bien calme mais la rouquine s'occupait donc des petits pendant que leurs mères se reposaient. La guerrière avait été blessée par un renard un peu moins d'une lune plus tôt et elle était resté conciliée dans l'antre de Pelage de Lièvre, le guérisseur. Le goupil lui avait déboîté une patte arrière et la femelle avait bien cru qu'elle finirait sa vie chez les anciens ! Seulement, voilà deux jours que le matou brun foncé lui avait annoncé qu'elle pourrait de nouveau utiliser sa patte et retourner dans le gîte des guerriers tant qu'elle restait tranquille. Elle avait ainsi retrouvé tout son entrain et son dynamisme, et s'impatientait de son retour chez les chasseurs.
Patte d'Orties, une femelle brun tigrée, se jeta sur elle en essayant d'escalader son épaule pour lui taper l'oreille. Pelage Fauve repoussa la jeune chatte d'un coup patte et lui expliqua comment prendre un adversaire par surprise. La petite aurait bientôt atteint ses six lunes et deviendrait une apprentie, qu'est-ce qu'elle avait grandie d'ailleurs ! La rouquine espérait secrètement qu'elle puisse s'occuper de l'apprentissage de Patte d'Orties - elle aurait du prendre celui de Nuage d'Ange ou de Nuage de Myrtille mais c'était impossible avec sa blessure, et puis Moustache de Mulot et Fleur de Lune feraient de bons mentors. La mère de la chatte tigrée passa alors sa tête par l'entrée de la Pouponnière et appela sa fille qui râla un peu. Pelage Fauve lui donna une pichenette sur l'oreille et lui promit de lui montrer une autre technique de chasse le lendemain en ronronnant. Elle remarqua alors qu'une patrouille rentra de la chasse et souvint qu'elle avait une chose important à faire.

En effet, Etoile du Griffon lui avait donné rendez-vous le matin-même sur les Hauts-Plateaux sans donner plus de détails et elle ne l'avait plus vu de la journée pour lui demander ce qui lui passait par la tête. La guerrière rousse soupira, elle appréhendait un peu cette rencontre comme la dernière s'était mal passée et puis le meneur semblait étrange ces derniers temps... En fait, depuis que Pelage Fauve avait renoué avec Moustache de Mulot et qu'il lui rendait souvent visite dans la tanière du guérisseur. La chatte pensait qu'il était jaloux et se doutait que sa nouvelle entente avec le jeune guerrier était comme un nouvel obstacle pour lui. Pourtant, Moustache de Mulot n'avait pas été présent pour elle pendant plusieurs lunes - elle n'avait pas été là pour lui non plus - au contraire d'Etoile du Griffon, bien qu'il y est des périodes plus... Turbulentes que d'autres. Enfin, peu importait à présent.

Pelage Fauve s'éclipsa du camp en boitillant et se dirigea vers les grandes plaines où un vent doux caressait l'herbe devenue plus rugueuse par le froid. Elle pouvait remarcher à quatre pattes mais elle ne devait pas forcer sa patte blessée si elle voulait s'en servir à nouveau plus rapidement. Pendant le long trajet, elle ne pensa qu'à Etoile du Griffon. Qu'allait-il lui dire ? Pourquoi la faire venir jusqu'ici ? Avait-il une annonce importante pour elle ? Toutes ces questions tourbillonnaient dans sa tête sans qu'elle y trouve vraiment des réponses concrètes. Ils étaient tous les deux imprévisibles - elle avait eu de nombreuses occasions de le constater - un jour ils pouvaient être les meilleurs amis de la forêt et le lendemain les pires ennemis. Cependant, elle ne pouvait pas vivre sans lui ou sa vie serait bien morne. Il était précieux pour lui, elle avait confiance en lui, bien plus que n'importe qui, et cette confiance était réciproque. La guerrière distingua alors une ombre et sautilla pour la rejoindre.

« Ah, j'aimerais tellement pouvoir voler comme un oiseau ! miaula-t-elle les yeux au ciel, un peu épuisée, J'espère que c'est important. »

Elle avait dit cela d'un ton narquois, ses yeux verts brillaient d'une lueur espiègle. De toute façon, peu importe le temps, elle serait tout de même venue pour lui. Etoile du Griffon se trouvait là, juste devant elle. Et elle l'aimait.

Mon regard dérivait au sein du camp. Je me laissais emporter par mes pensées. Pourtant, tout se passait bien pour le clan malgré l'arrivée de la saison des feuilles mortes. Les derniers apprentis avaient été baptisés. En effet, Nuage de Myrtille était l'apprentie de Fleur de Lune et Nuage d'Ange était devenue l'apprentie de Moustache de Mulot, qui était lui-même mon ancien apprenti. J'aurais bien donné Nuage de Myrtille à Pelage Fauve, mais celle-ci étant blessée à la patte n'aurait pas pu démarrer son entraînement. Elle serait sans doute le mentor de Patte d'Ortie, qui quitterait bientôt la pouponnière. Pelage Fauve avait été blessée en affrontant un renard dans la lande et je l'avais sauvé de justesse. Amenée au camp, Pelage de Lièvre avait déclaré qu'elle guérirait. Il faudrait du repos à sa patte. Pelage Fauve ne boitait plus mais elle devait tout de même faire attention à ne pas faire trop d'efforts. D'ailleurs, nous ne nous étions pas beaucoup vus ces derniers temps et j'étais aussi très occupé. Lorsque je venais, je me débrouillais toujours pour tomber avant ou après Moustache de Mulot. J'avais remarqué que Pelage Fauve et Moustache de Mulot s'entendaient bien à nouveau. Quant à moi, je n'avais toujours pas avoué mes sentiments pour la guerrière. Je me souviens que lorsqu'ils étaient jeunes, Moustache de Mulot et Pelage Fauve étaient toujours ensemble. On s'était même attendu à ce qu'ils deviennent compagnons un jour, jusqu'à ce qu'ils se disputent. Mon coeur se serra. Et si, maintenant que Pelage Fauve et Moustache de Mulot s'entendaient bien, ils deviendraient compagnons ? Et si elle le préférait à moi ? Cette idée me fis ressentir une profonde jalousie même si je savais que ce n'était pas bon pour le clan. Pourtant, je ne voulais pas la perdre pour de bon, il fallait que je me dépêche avant qu'on me devance.

J'avais réussi à trouver Pelage Fauve au camp. Puis je lui avais dit de me rejoindre aux Hauts Plateaux sans plus de détails. La guerrière devait sans doute se demander ce qui me passait par la tête. Après tout, notre relation avait été très mouvementée pendant plusieurs lunes. Au tout début, nous ne nous entendions pas. Et ce jusqu'à ce que la chatte revienne à son clan. Après cette période de bonne entente, il y avait eu le Grand Rocher, et les Chutes... Et puis ensuite il y avait eu cette dernière dispute à la lande avant la réconciliation. J'avais été exaspéré par la guerrière rousse ces derniers temps car elle s'était comportée comme une apprentie indisciplinée et manquait de respect à son chef. Depuis toute petite, elle avait toujours été une forte tête avec un sale caractère. Cela lui avait parfois attiré des ennuis, même une fois baptisée guerrière. Pourtant, après l'épisode du renard, quelque chose semblait avoir pris forme au sein de son esprit. De la maturité peut-être ? Elle avait échappé à la mort, c'était quelque chose de traumatisant je pouvais très bien le concevoir. Et moi, je m'étais senti un peu coupable car j'étais en partie responsable de tout cela. J'espérais que l'on pourrait se rattraper et s'entendre pour les lunes à venir. J'espérais même beaucoup plus. Je m'en étais rendu compte tardivement, mais maintenant, je le savais : je l'aimais. Et j'espérais aussi que c'était réciproque. Cet oeil borgne qui défigurait mon visage n'allait pas jouer en ma faveur... N'aurait-il pas été plus logique de choisir Moustache de Mulot ? Néanmoins, je devais tenter ma chance car je savais que sinon j'allais le regretter toute ma vie. Je devais prendre mon courage à deux pattes et foncer. Je n'avais rien à y perdre et tout à y gagner.

J'étais maintenant arrivé aux Hauts Plateaux. J'étais tellement dans mes pensées que je n'avais pas fait attention au trajet ni à ce qui se trouvait tout autour de moi. Une seule pensée m'obsédait : Pelage Fauve. Je l'avais fait venir. Mais qu'allais-je lui dire ? Et aussi, allait-elle venir ? J'avais patienté, la queue enroulée autour de mes pattes, nerveux. Me demandant si elle allait bien et bel venir. Mon coeur ne fit qu'un bond dans ma poitrine lorsque je vis la belle silhouette de la guerrière rousse au loin. Elle était venue. Maintenant, ma nervosité ne faisait qu'augmenter. Pourtant, j'étais si heureux que je n'avais pas de mots pour décrire ce que je ressentais à ce moment-là. La guerrière m'avais parlé d'un ton narquois, l'air espiègle. Je ronronnais. La guerrière avait visiblement retrouvé sa bonne humeur, c'était bon signe ! Lorsqu'elle était coincée dans la tanière du guérisseur, les premiers jours, elle avait au contraire l'air las. Je frottai ma queue doucement autour de sa patte.

" Ne force pas trop, ce n'était pas urgent. "

Je la regardais avec douceur ne sachant que dire d'autre. Elle allait sûrement dire qu'elle pouvait se débrouiller toute seule, ça lui ressemblerait bien. A sa question, je compris qu'elle se demandait pourquoi je l'avais fait venir ici. Avait-elle appréhendé la rencontre ? La dernière fois que j'avais été "convoqué" cela ne s'était pas très bien passé. Mais je n'étais nullement là pour des disputes et reproches, bien au contraire. Je pris un air vexé lorsque je répondis,

"Rien d'important... Je voulais juste passer du temps avec toi. "

Nous ne nous étions pas beaucoup parlés lors de notre période de troubles. Et ces derniers jours, Pelage Fauve l'avait sans doute remarqué, elle ne m'avais pas beaucoup vu. Je voulais rattraper ce temps perdu et lui faire ma déclaration... Mais pas maintenant.